Non respect des conditions du PSE, liquidation de mon employeur lors de mon congé de reclassement, droit au CSP ?

Bonjour,

Mon cas devrait intéresser les plus rigoureux d’entre vous :

Salarié cadre en CDI depuis plus de 4 un PSE est annoncé en février de cette année.

La société représente de mémoire 276 salariés mais appartient à un groupe de plus de 1000 salariés. Conformément à la loi il n’est pas proposé de CSP, l’ inspection du travail me l’a confirmé.

J’apprend donc en février que mon poste est supprimé. Il m’est alors proposé un départ volontaire ( prime incitative correspondant à 3 mois de salaire + 1/4 de salaire mensuel brut par années d’ancienneté) + une proposition de congé de reclassment (qui préserve mon statut de salarié pour 6 mois)

En congé de reclassement au 8 mai, je touche bien mon salaire pour ce moi de mai. Mais en juin le groupe annonce que les salaires et les primes incitatives … etc ne seront pas payés.

Sans ressources jusqu’au 16 juillet, l’AGS me verse mon salaire de juin, mais depuis plus rien. Nous sommes le 8 août et l’AGS n’a plus rien versé à ce jour.

Pour encore compliquer l’affaire, le tribunal de Dijon annonce la liquidation de mon ancien employeur le 28 Juillet. Initialement, le plan grand licenciement devait être enclenché, garantissant la mise en CSP de tous les salairés. Mais le mandataire m’a fait savoir que les personnes concernées par le premier PSE ne bénéficierait pas du CSP car considéré comme licenciés avant la liquidation même s’ils ont le statut de salariés …

Prochainement des lettres de rupture du reclassement nous serons transmises afin d’obtenir notre solde de tout compte (sans la prime incitative) et de touché l’ARE basique de France travail.

M’estimant trompé par mon employeur (non respect du congé de reclassement, non respect du versement des salaires , non respect de la prime incitative, …) j’envisage de demander la rupture de mon licenciement et de demander à bénéficier du CSP réservé aux salariés du second licenciement.

Suis-je en droit de le faire ? Merci d’avance pour vos retours, je ne vouss cacherai pas mon désarroi le plus total face à tant d’injustice et de mépris …

Bien à vous,

Guillaume

Bonjour,

Dans votre situation, deux axes se dégagent nettement : le non-respect des obligations issues du premier licenciement économique avec PSE, et la question de l’accès au CSP lors de la liquidation.

En ce qui concerne le congé de reclassement, l’article L. 1233-71 du Code du travail impose à toute entreprise ou groupe d’au moins 1 000 salariés de le proposer aux salariés dont le licenciement pour motif économique est envisagé, sauf en cas de redressement ou de liquidation judiciaire. Pendant la durée de ce congé, qui débute après le préavis, vous restez lié par un contrat de travail et percevez soit votre salaire pendant le préavis, soit, ensuite, une allocation spécifique. Le non-versement de ces sommes constitue un manquement contractuel et légal. En cas de liquidation, elles deviennent des créances salariales au sens de l’article L. 3253-17, garanties par l’AGS dans la limite des plafonds légaux. La Cour de cassation a d’ailleurs précisé que la contribution de l’employeur au financement du dispositif de reclassement – équivalente au préavis que le salarié aurait perçu – est une créance salariale entrant dans la garantie de l’AGS (Cass. soc., 10 févr. 2021, n° 19-13.225).

S’agissant de la prime incitative, si elle figurait expressément dans le PSE validé ou dans un accord collectif, elle s’impose à l’employeur comme une mesure d’accompagnement du licenciement économique et son non-paiement ouvre droit à réparation. Les sommes ainsi prévues dans un PSE ont valeur d’engagements unilatéraux opposables, et en liquidation, elles doivent également être déclarées au passif pour être prises en charge par l’AGS, sous réserve des plafonds applicables.

Quant au CSP, le Code du travail (articles L. 1233-65 et L. 1233-66) le réserve aux entreprises de moins de 1 000 salariés, ou à celles en redressement ou liquidation judiciaire, et aux situations non couvertes par le congé de reclassement. La règle est claire : un salarié ayant déjà accepté un congé de reclassement ne peut ensuite bénéficier du CSP, même si la liquidation intervient avant la fin de ce congé. Le Conseil d’État a validé qu’un PSE prévoyant le congé de reclassement, et non le CSP, respecte la loi, même si l’effectif est inférieur à 1 000 salariés, dès lors que l’engagement de proposer ce congé est respecté (CE, 29 juin 2016, n° 389278).

Enfin, sur la contestation de votre premier licenciement, le juge prud’homal est compétent pour apprécier le caractère réel et sérieux du motif économique et contrôler le respect par l’employeur de son obligation de reclassement (Cass. soc., 17 mars 1999, n° 97-40.515). Même lorsqu’un PSE est en cause, le juge judiciaire conserve compétence pour les litiges individuels relatifs à son application, par exemple l’exécution des mesures prévues au profit d’un salarié. Des manquements dans le versement des indemnités ou dans la mise en œuvre du congé de reclassement peuvent ainsi justifier des dommages-intérêts, en plus de la fixation des créances au passif de la liquidation.

Autrement dit, il n’est pas possible juridiquement de « faire annuler » le premier licenciement pour basculer dans le CSP lié à la liquidation, mais vous pouvez agir pour obtenir, via la déclaration de créances et la saisine du conseil de prud’hommes, l’intégralité des sommes dues au titre du PSE initial, congé de reclassement et prime incitative incluses, avec intervention de l’AGS pour garantir le paiement.

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Merci beucoup Math 64 pour ce retour extrêment clair et précis.

Etant donné les délais très courts et le besoin d’avoir une source de revenue garantie, ils nous faudra donc dans un premier temps accepter la suite des démarches afin de bénéficier de l’ARE. En effet, l’AGS ne prend plus en charge les salaires au delà de 45j après la mise en redressement (dans notre cas jusqu’au 16 août).

PuisIl faudra dans un second temps, faire valoir nos droits. C’est à dire, saisir les prud’hommes à titre individuel sur le non-respect des obligations prévues par le licenciement économique. Par chance, j’avais entamé des démarches et envoyé la saisine aux prud’hommes bien avant l’annonce de la liquidation. Mes collèques peuvent-ils encore le faire ?

La liquidation étant désormais en cours, aurais-je encore la possibilité de recevoir réparation de la part des mandataires en cas de jugement favorable des prud’hommes ?

En tout cas, je vous suis infiniment reconnaissant pour ces éclairages.

Bien à vous.

Guillaume

Dans le contexte de votre situation, la liquidation judiciaire ouverte entraîne l’application des règles du livre VI du Code de commerce et du régime de garantie de l’Association pour la gestion du régime de Garantie des créances des Salariés (AGS), prévu aux articles L. 3253-6 et L. 3253-17 du Code du travail.

Vos collègues peuvent encore saisir le conseil de prud’hommes, sous réserve du délai d’un an à compter de la notification du licenciement (C. trav., art. L. 1471-1). Mais il est essentiel de comprendre que, pour espérer un règlement par l’AGS, obtenir un jugement favorable ne suffit pas : la créance doit impérativement être inscrite au passif de la liquidation.

En effet, toute créance née avant le jugement d’ouverture doit être déclarée au mandataire judiciaire dans les deux mois suivant la publication de ce jugement au BODACC (C. com., art. L. 622-24). Il s’agit d’un délai de forclusion : passé ce terme, la créance est irrecevable, même si le conseil de prud’hommes vous donne pleinement raison par la suite, sauf à obtenir un relevé de forclusion (C. com., art. L. 622-26) en démontrant l’impossibilité de connaître l’ouverture de la procédure ou un empêchement légitime.

En pratique, cela implique deux démarches parallèles et rapides :

  • Saisir le conseil de prud’hommes avant l’expiration des deux mois pour préserver vos droits sur le fond ;

  • Déclarer au mandataire judiciaire, dans le même délai, la créance attendue, même si son montant exact n’est pas encore connu. Cette déclaration peut être faite à titre provisoire ou estimatif, puis complétée après la décision judiciaire.

Cette double action est capitale : elle garantit que la créance sera inscrite au passif à titre conservatoire et permettra, en cas de succès devant le juge, un règlement par l’AGS. Sans déclaration dans ce délai, la décision prud’homale resterait théorique faute d’inscription au passif.

Au vu de votre dossier, et conformément aux articles L. 3253-6 à L. 3253-8 du Code du travail, les créances réalistes à obtenir devant le juge et à voir effectivement réglées par l’AGS sont :

  • l’allocation de congé de reclassement non versée ;

  • l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents (C. trav., art. L. 1234-5 et L. 3141-24) ;

  • l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement (C. trav., art. L. 1234-9) ;

  • l’indemnité supra-conventionnelle si elle figure dans le PSE validé ou homologué ;

  • éventuellement, des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou manquement aux obligations du PSE (C. trav., art. L. 1235-3 et L. 1235-16), dès lors qu’ils réparent directement la perte d’emploi et restent dans les plafonds de l’article D. 3253-5.

En revanche, l’AGS n’intervient pas pour :

  • les dommages-intérêts réparant un préjudice moral distinct ou une perte de chance de carrière ;

  • les pénalités ou intérêts moratoires excédant les plafonds ;

  • toute créance dépourvue de caractère salarial.

Ces sommes, même allouées par le juge, seraient inscrites au passif chirographaire et, en pratique, rarement payées, en raison de l’ordre de distribution prévu par les articles L. 643-8 et L. 643-9 du Code de commerce.

La Cour de cassation a confirmé que l’AGS doit régler les créances salariales nées avant le jugement d’ouverture, même si elles sont fixées postérieurement (Cass. soc., 10 févr. 2021, n° 19-13.225), à condition qu’elles aient été régulièrement déclarées et répondent aux critères légaux.

En résumé : même après la liquidation, vous pouvez obtenir réparation, mais uniquement si vous respectez strictement à la fois le délai de saisine prud’homale (un an) et le délai de déclaration au passif (deux mois après la publication au BODACC). Sans déclaration dans ce délai, aucune exécution via l’AGS ne sera possible, même avec un jugement favorable. Le recouvrement réaliste se limitera donc aux sommes directement liées à la rupture et prévues par la loi ou le PSE, dans la limite des plafonds AGS.

cela reste en outre à l’appréciation du juge et de la situation in corneto.

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Rebonjour et encore un très grand merci pour vos conseils.

Passé le délai de mise en demeurre (15j), la saisine a été transmise aux prud’hommes et une copie également envoyée à mon employeur. Les courreirs ont été reçu avant l’annonce de la liquidation les 22 et 24 Juillet. Les 2 courreirs (rigoureusement identiques) contenaient exactement les même pièces justificatives ainsi qu’une première estimation des préjudices.

Un courrier retour des prud’homme fixe une convocation au 27 janvier 2026 avec moi-même, les mandataires et l’AGS.

Peut-on considérer que ce courrier vaut pour déclaration aux mandataires ?

Encore une fois, je tiens à vous exprimer ma plus profonde gratitude.

Bien à vous

Bonjour,

Non, malheureusement, la convocation du conseil de prud’hommes ne vaut pas déclaration de créance auprès des mandataires judiciaires.

En procédure collective, l’article L. 622-24 du Code de commerce impose que la déclaration soit adressée directement au mandataire judiciaire, dans le délai de deux mois suivant la publication de l’ouverture au BODACC, et qu’elle précise la nature et le montant de la créance (même estimatif), ainsi que les pièces justificatives.

La jurisprudence est constante : la saisine d’une juridiction, même accompagnée d’envoi de pièces à l’employeur ou à d’autres acteurs, ne remplace pas cette déclaration formelle au mandataire. Le fait que le mandataire et l’AGS soient convoqués à l’audience ne suffit pas, car l’inscription au passif suppose un acte de déclaration distinct, reçu dans le délai légal.

Dans votre situation, si la déclaration formelle n’a pas encore été faite directement au mandataire judiciaire, il est indispensable de la régulariser immédiatement, même à titre estimatif, en rappelant que l’instance est en cours et que le montant définitif sera précisé après le jugement. Cela permettra de préserver vos droits à l’inscription au passif et donc le paiement par l’AGS en cas de succès devant le juge.

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Encore une fois un grand merci à vous Math64 !

Je finalise la déclaraction de créance avec le plus grand soin. Le jugement indique effectivement un délai de 2 mois ainsi que les 2 mandataires liquidateurs.

En revanche, j’ai un doute entre “créance chirographaire” (sans droit particulier) et “créance privilégiée”. En tant que “salarié d’une entreprise en difficulté”, il me semble à priori que je puisse invoquer la créance privilégiée.

D’autre part, le jugement étant en cours, je pense qu’il s’agit d’un montant à échoir, mais je n’en suis pas parfaitement certain…

En ce qui concerne le reste, j’indique ne pas avoir de représentant et présente ma qualité en tant que salarié. En espérant ne pas commettre d’erreur.

A l’instar de la saisine des prud’hommes, je liste soigneusement chaque pièces-justificatives dans un tableau en annexe en indiquant le nombre de page de chaque document et en identifiant chacun avec soin.

Encore une fois, je vous exprime ma plus profonde gratitude et reste admiratif de votre érudition en la matière.

Bien à vous

là, il y a un grand danger se se planter pour une simple question de procédure.
Hélas, j’ai vu pas mal de dossiers où le salarié aurait pu avoir gain de cause, mais s’est fait avoir sur le procédure et débouter…

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“dura lex, sed lex”

La bonne foi ne suffit pas toujours. Quoi qu’il en soit, j’ai donné mon maximum pour transmettre une demande conforme. Je ne pourrai jamais faire mieux.

La déclaration de créance a été envoyé aux liquidateurs désignés dans le jugement. La convocation des prud’hommes suite à la saisine est fixée à fin janvier. Il ne reste donc plus qu’à patienter et m’efforcer de me reconstruire.

En tout cas, je tiens à vous exprimer ma plus profonde gratitude pour votre aide et mon admiration pour votre érudition en la matière.

Je reviendrai vous donner dès nouvelles.

Bien à vous et encore merci !

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