Il y a quand même une chose qui n'est jamais dite : tous les mois, il y a des centaines de milliers de nouveaux dossiers qui sont mis en paiement, dans retard, et avec le montant exact. Ce qui signifie tout de même que, grosso modo, ce qu'en retiennent les médias ne concerne que le spectaculaire, les cas à a marge. Je reviens sur le lien que vous avez mis concernant l'émission lamentable d'Elise Lucet. Je retiens les 3 cas présentés.
- on y voit une chauffeur de taxi qui pleure une dizaine de fois qu'elle a travaillé 40 ans : personne ne dit le contraire. Une question ne lui est jamais posé. Travaillé 40 ans, certes, mais avez-vous cotisé suffisamment pour ouvrir des droits à la retraite suffisants ? ça ne lui est pas demandé, on n 'a pas la "carrière" et les motants déclarés sous les yeux. ça n'enlève rien à l'imbroglio, mais on parle tout de même d'un travailleur indépendant, ce qui n'est pas le "cas général". La Régime Général a récupéré le problème des indépendnats, il n'en a pas encore solutionné tous les compartiments.
- on y voit une vieille dame d'origine yougoslave qui ne comprend pas le suivi de son dossier : il manque évidemment un minimum de contact humain dans son problème, mais le journaliste a-t-il rappelé qu'il est très difficile pour la caisse d eretraite d'obtenir des informations de la part de caisses qui se situent dans des pays qui ont brûlé ?
- le monsieur qui a cotisé à la CIPAV : en quoi cela concerne les CARSAT ? le dossier est totalement hors-sujet, et absolument pas aprofondi : on y voit un monsieur profession libérale, qui laisse à sa femme le soin du secrétariat et de la comptabilité. Elle dit qu'il a cotisé toute sa vie à la CIPAV et qu'il n'y a aucun trimestre. Conclusion non dite, et plus que probable : sa femme est loin d'avoir les compétences qu'on lui prête, elle n'est ni comptable ni secrétaire car elle a très probablement cotisé qu'à la partie "complémentaire" de la retraite CIPAV. Sinon, on verrait des trimestres. Et ça fait surtout 30 ans que le problème devrait lui sauter aux yeux mais on attend le dernier moment pour aller pleurer à la télé.
Donc, il est très facile de prendre n'importe quellel structure "publique", d'aller chercher 3 cas parmi les pires qu'on puisse trouver (sans gratter, sans chercher à comprendre, juste en chargeant au maximum l'organisme) et d'en conclure que rien ne va.
A part la dame âgée, qui n'y peut rien si personne ne la rappelle évidemment, et dont la situation est sans doute bloquée par des informations qui n'arrivent pas de la caisse de l'ex-Yougoslavie, le reste des reportages relève de l'amateurisme et en aucun cas d'une quelqconque forme d'investigation. Mais c'est ce qu'en retiendront les Français, qui aiment bien les résumés grossiers de toutes façons. Il y a des dysfonctionnements (pas partout, pas à ce point, pas dans toutes les caisses), il y a un rapport avec l'asuré totalement déshumanisé, mais il y a aussi des techniciens particulièrement bienveillants, qui ont permis des miracles, des dizaines de milliers de fois tous les mois. On ne voit même pas dans le reportage un exemple de quand ça se passe bien. Bizarrement, c'est + de 90% des cas où ça se passe globalement bien.
Un dossier déposé complet du premier coup quelques semaines avant le point de départ par un assuré qui se serait penché au préalable sur sa carrière et en aurait pointé les éventuels manques, est payé à l'heure. Et a peut-être même été contacté entre temps par son gestionnaire pour être rassuré à ce sujet. Hormis le cas de la dame d'origine yougoslave, le reportage montre des gens qui n'ont rien préparé et se laisse aller au dernier moment à la mauvaise surprise. Mais surtout... la Sécurité Sociale n'a pas grand chose à voir avec le fond de leur problème. Donc le reportage est presque hors-sujet pendant 15 de ses 20 minutes. On a montré un "téléconseiller" (supprimer "conseiller", ces gens ne sont pas formés à la législation retraite), on n'a pas montré un technicien retraite en activité. Tout est toujours comme ça avec les sujets sur les retraites. J'y prête évidemment une grande attention : la moindre intervention dans les médias au sujet des retraites comporte des approximations (au mieux) mais souvent de réels contresens, voire de véritables âneries. Et surtout, les gens eux-mêmes ne sont pas foncièrement honnêtes quant à leurs revenus réels (quasi systématiquement minimisés). Quand vous avez quelqu'un qui vous dit qu'il a "travaillé toute sa vie", le relevé de carrière ne reflète pas nécessairement la même réalité. Parmi ces gens, on en trouve régulièrement qui ont seulement 80 ou 100 trimestres cotisés, le reste des 160 et quelques trimestres est validé par du chômage, de l'AVPF et j'en passe. Le reportage d'Elise Lucet, c'est "une" vérité, pas "la" vérité.